Ma promotion de Titre Pro Conseiller Médiateur Numérique a travaillé cinq jours avec une autre formation de l’ADEA, les BPJEPS (Brevet Professionnel Jeunesse, Education Populaire et Sports, en un mot l’animation sociale). Après deux jours de cours et de travail collectif sur la thématique de l’accueil, nous avons accueilli cette promotion pendant deux jours dans le Fablab Pédagogique de l’ADEA. Avant de commencer le papier, précision importante : ils étaient huit comme nous et sont tous reconnus comme personne en situation de handicap
D’un séminaire à l’autre, les échos d’un changement de vie.
NDR : les événements se sont déroulés début janvier 2019. L’article a été relu par les membres de la promo BPJEPS.
C’était une autre vie, c’était une autre époque. Il y a 10 ans, j’étais étudiant en journalisme. De ces deux années passées à l’EPJ de Tours, j’ai un souvenir marquant : un séminaire d’échange sur le journalisme et la mort avec l’Université de Leipzig. En plus du sujet (passionnant), les échanges avec les étudiants en journalisme allemand furent riches et intenses. J’y ai appris que cette richesse provenait de la diversité de nos profils et expériences de vie.
Dix ans plus tard, j’ai changé de voie (de vocation ? Je fais de l’éducation aux médias après tout), je suis en formation professionnelle et dans quelques mois, je serai Conseiller Médiateur Numérique diplômé. Dès le début de la formation j’écrivais :
« En ce premier jour de rentrée, nos formateurs ont eu à cœur de nous le répéter : « Cette formation est à la croisée du numérique et du travail social. »
Durant ces neuf mois de formation, je me suis découvert la passion de transmettre. La meilleure chose qui pourrait m’arriver serait de former à mon tour des médiateurs numériques.
En formation professionnelle, nous sommes confrontés aux autres, il est nécessaire de prendre du recul sur ses points de vue et de remettre en jeu ses pratiques.
Ces cinq jours avec les BPJEPS ont été riches d’enseignement. Comme mon expérience précédente, il y a dix ans, c’est la diversité de nos profils et de nos expériences de vie qui ont fait la richesse de ces journées. Nous avons tous beaucoup appris. Et je dois bien l’avouer, j’ai pris quelques claques !
Handicapé toi-même !
Ce séminaire d’échange inter-promos fut annoncé en octobre. La mission : accueillir des futurs travailleurs sociaux en situation de handicap pendant deux jours dans un FabLab. Aux formateurs l’organisation générale, à nous la définition des objectifs et la réalisation des médiations.
Après une matinée de travail, nous avions dégagé un objectif andragogique général simple : faire découvrir la culture numérique à partir du FabLab.
Notre formateur nous a communiqué quelques éléments en lien avec les difficultés physiques rencontrées par les membres du groupe des BPJEPS, non pas pour être intrusif ni entrer dans une confidentialité « médicale » mais pour nous permettre de mieux prendre en compte les difficultés de chacun et de proposer des solutions adaptées et valorisantes pour tous.
La première claque, c’est ici. Le handicap, c’est avant tout des images mentales, des représentations sociales, un fauteuil roulant, une gueule tordue et cassée, l’existence d’une norme, d’une ligne qui séparerait le normal et l’anormal.
Nous avions déjà travaillé sur le handicap mais pour moi, les représentations ont été plus fortes malgré tout, elles ont volé en éclats le jour de notre rencontre. Si tu es handicapé ce n’est pas écrit sur ta gueule. C’était début janvier et nous avons travaillé ensemble sur la notion d’accueil. (D’après-vous quel est le premier rôle d’un médiateur numérique ?) Nous avons eu des cours communs, nous avons travaillé en binôme et même jouer aux Loups Garou de Thiercelieux pour en apprendre plus les dynamiques de groupe.
De ces contacts, de cette première expérience, je me suis fait une nouvelle définition du handicap, plus personnelle, plus empirique. Nous sommes tous des handicapés. La normalité n’existe pas. Nous avons tous des niveaux de difficultés invisibles ou cachées, des manques, des incapacités. Chacun d’entre nous devrait être compris ainsi. Pour ce faire, il me semble important de vivre le handicap de l’autre pour mieux reconnaître le sien. (J’ai récemment appris qu’une actrice que j’aime beaucoup est dysorthographique. Faire des fautes à toutes les phrases et pouvoir réciter Racine, c’est fort non ?)
Baptiser le FabLab
La semaine suivante nous accueillons les BPJEPS dans le FabLab pédagogique de l’ADEA. Il compte deux imprimantes 3D, une découpeuse laser et une découpeuse vinyle. C’est la première médiation réalisée dans le FabLab ; le baptême.
Avec les premiers essais viennent les premiers ratés, imprimante 3D qui s’enraye, les découpeuses vinyle ou laser pas encore maîtrisées. Il manque encore beaucoup de choses au FabLab : l’aménagement et la décoration ne sont pas finis, il n’existe pas de processus de documentation, nous ne sommes pas en configuration sociale Tiers-Lieux (faudra que j’en parle ici un jour).
Ainsi, nous entrevoyons le futur lointain du lieu et le futur proche de notre formation. Nous devrons rédiger des tutos et les afficher aux murs. Malgré ces conditions non optimales, nous réussissons nos divers ateliers.
Je suis à la conception et l’impression 3D. J’apprends aux BPJEPS à se servir du service en ligne pour dessiner leurs pièces avant de les imprimer. Cet atelier est un prétexte pour comprendre la culture numérique dans son ensemble. Pour expliquer le fonctionnement de Tinkercad, je m’exprime ainsi :
« Comme tous les outils numériques, tu fais des allers-retours incessants entre un ensemble et ses détails, entre un environnement de travail et des tâches précises que tu effectues à un endroit dédié de l’écran. »

C’est comme le tableau, les époux Arnolfini de Van Eyck, il y a le miroir comme très beau détail, mais pour en saisir la beauté il faut regarder le tableau dans son ensemble.
Prétexte à découvrir : dans des petits moments de pause, on fait un petit détour par Arduino et Rapsberry Pi. La créativité se libère. Les BPJEPS commencent à s’autonomiser et s’entraider. Ils deviennent médiateurs numériques les uns pour les autres.
Jean (prénom changé) est amateur) de modélisme. Souhaitant partager et faire découvrir toutes les possibilités que cela peut amener, il a amené sa voiture télécommandée, il a également une mini caméra et des lunettes où sont projetés les images. Nous avons imprimé le support en 3D à partir d’un fichier Thingiverse pour que la caméra se fixe sur la voiture. Jean pourra faire vivre des expériences d’immersions on pourra conduire la mini voiture du point de vue de son capot.
Transformations de nos pratiques professionnelles
Une semaine après les BPJEPS sont retournés en stage dans leurs diverses structures (EPHAD, SAVS…) Médiateur numérique ou animateur social, ces quatre jours nous ont transformé dans nos pratiques professionnelles.
Pour les BPJEPS, il s’agissait d’une ouverture à la culture numérique, une découverte de nombreuses possibilités permises par le FabLab. Ils vont maintenant chercher à travailler en étroite collaboration avec les FabLabs de leurs régions, pour avoir de nouveaux partenariats et lancer de nouveaux processus d’animation.
Pour nous, les médiateurs numériques se confronter à un public en difficulté était une grande première, c’était très enrichissant. Nous avons travaillé avec un public qui éprouvait une certaine fatigabilité. J’ai été très marqué par la solidarité et l’entraide entre les différents membres de la promo BPJEPS. Les deux jours de séminaire sur l’accueil avaient soudé les deux promos et rendu la tâche plus facile.
De mes années de journalisme il est une habitude dont je ne peux me départir, tous les jours à la même heure, je rentre chez un marchand de journaux et je consulte les Unes de la presse. Elle parle peu ou pas de personnes en situation d’handicap, d’handicapés ou d’handicap… Voilà une belle idée de média à créer.
En complément : https://infokiosques.net/IMG/pdf/validisme.pdf
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