Former les Conseillers Numériques, ce que j’ai appris.

En novembre 2020, Cedric O annonçait la formation et l’embauche de 4000 Conseillers Numériques France Service (CNFS). Je posais la question : qui veut et qui va les former ?

Réponse : moi, c’est ma mission depuis novembre 2021. Au-delà d’un simple constat, j’aimerais partager ce que j’ai appris en tant que pédagogue, formateur et médiateur numérique.

Vous le savez, je prends beaucoup de plaisir à documenter mes pratiques.
Je supporte de plus en plus mal le vacarme enfermant des médias sociaux où chacun est condamné à faire sa pub pour survivre (professionnellement). Je préfère le temps long de l’écriture et de la réflexion. Mon parcours récent a été jalonné d’expériences riches. J’ai pris encore plus de recul sur mon métier pour découvrir le large spectre couvert par le numérique et la médiation.

Avant d’attaquer, deux mots de contexte et de vocabulaire : je délivre cette formation dans une fabrique Simplon et je travaille avec un autre médiateur numérique qui fut dans le passé mon formateur à l’ADEA de Bourg-en-Bresse, Alain Imbaud.

Mon expérience

« On n’enseigne pas ce que l’on sait, on enseigne ce que l’on est. » J’ai piqué cette phrase à Jean-Noël Saintrapt un formateur expérimenté, qui lui même l’a certainement piqué à quelqu’un d’autre.

Pour enseigner au mieux le métier, je suis parti de mon vécu du métier.

En début de formation, j’ai lancé mes apprenants sur un atelier : « Médiation numérique à distance ». Ce cours était basé sur mon travail durant le deuxième confinement (hiver 2020) sur la plateforme d’écoute Solidarité Numérique. À l’époque je répondais au téléphone toute la journée pour aider des personnes en difficultés : des étudiants avec le CROUS, la CAF, Ameli…

Une semaine après ma prise de poste, je reçus l’appel d’un homme en grande détresse psychologique. Il veut se suicider et tant qu’à faire, dans les locaux de la CAF la plus proche devant les caméras de la télévision… Ce jour-là, je fus mis dos au mur. Il fallait tenir. Écouter. Ne pas lâcher. Il me fallu cinquante minutes d’appel, le temps de prévenir mes collègues, de le localiser, de collecter le maximum d’informations, pour passer la main à des personnes compétentes et qui pouvait intervenir chez lui et l’aider.

Pour faire sentir la difficulté et l’urgence de ce type de situation qui croise urgence psychologique, médiation sociale et médiation numérique, je suis allé puiser dans le livre de Loïc Gervais médiateur-écoutant lors du premier confinement. Le livre « Solidarité Numérique, j’écoute ? » m’a donné de nombreux scénarios prêts à l’emploi. Exemple :

Roland appelle depuis Toulon. Il a 84 ans et vit sous respirateur. Dans 48 heures, il doit renouveler sa mutuelle pour que ses soins puissent être pris en charge. Pour cela il a besoin de fournir des justificatifs administratifs. Son auxiliaire de vie ne peut pas venir du fait du confinement. Roland ne sait pas ce qu’il doit faire au juste. Il m’explique que s’il ne fournit pas ses documents dans les délais, il n’aura plus de mutuelle. Donc plus de soins. Et potentiellement plus d’aide pour son loyer non plus. Il termine l’exposé avec sa voix tremblante et faible. »

Ça fait réfléchir, non ?

Des ateliers prétextes

Sur une note plus positive, j’ai fait un atelier « idéation d’une ville idéale en méthode agile avec des légos ». Ça fait rire ? Ça sonne bullshit ? On me dira qu’avec un titre pareil, je vais me faire retweeter par Disruptive Humans of Linked In.

Je répondrais que cet atelier fut un excellent moyen d’initier à quelques notions : c’est quoi un système, un réseau, les Tiers-Lieux, la ville « intelligentes », l’internet des objets, les communs, le big data, les transports, le design, la laïcité (ville = lieux de cultes ?), la surveillance, les start-up et les services publics, la différence entre structures et infrastructures… Tiens on a même parlé d’encadrement des loyers ;-).

Je connais plutôt bien certains de ces sujets : j’ai été co-commissaire à la Biennale du Design de Saint Etienne en 2017 « Tiers-Lieux Fork the World » et j’ai fait des ateliers autour de l’Internet des objets lors de l’exposition « Are you talking to me ? » en 2018 (toujours à Saint-Etienne).

Ce que j’ai appris dans les Tiers-Lieux, je l’ai beaucoup employé dans cette formation : des outils, des méthodes, des processus, d’animation et de facilitation. À commencer par les métacartes « Faire ensemble » de Framasoft. Justement, c’est dans la façon de faire, que je me suis le plus amusé…

lego villesintelligentes
Des briques de légos pour concevoir et matérialiser une ville, un exercice très puissant !

Ma façon de faire

Expérimenter, expérimenter et encore expérimenter… L’enjeu de départ était de créer un groupe et de lancer une dynamique, voir les points faibles et les points forts de chacun, développer l’entraide et la complémentarité. J’ai pris le temps de connaître mes apprenants, je découvre encore leurs façons de faire et leurs méthodes d’apprentissage.

Au début, je faisais beaucoup de « brise glace », « météo » ou encore « énergiseur » pour lancer les journées (merci les métacartes). Je pavais la route pour les apprenants et j’avais peur de lâcher la bride. Est-ce que c’est trop ou pas assez ? Trop de temps ou pas assez de temps ?

Aujourd’hui, après quelques semaines, je me sens comme un MJ dans DD. Je m’explique : Donjons et Dragons (DD) est un jeu de rôle où les joueurs avancent dans l’histoire selon leurs rythmes et leurs envies, l’histoire est raconté par un maître du jeu (MJ).

J’ai fixé les objectifs au départ. J’ai expliciter le métier et déconstruit certaines visions. Les conseillers numériques ont pris le temps en cours de lire et détailler les attendus du référentiel métier. Embauchés, les apprenants travaillent déjà dans leurs structures en alternance.

Les apprenants construisent leurs cours et leurs plannings en fonction des attendus du référentiel. La formation se réinvente au quotidien au gré de l’énergie et la dynamique du groupe. Mon rôle est d’animer, de lancer, de faciliter, de répondre aux questions, de donner de la ressource et d’appuyer les apprenants dans leurs parcours.

En action

Des exemples ? Comme tout bon médiateur numérique, ils doivent faire une veille et mieux encore une veille en commun sur les grandes thématiques du numérique. Tous les jours, ils arpentent et découvrent de nouvelles ressources dans le cadre de leurs formations. Un premier essai, avec l’outil Pearltree s’est révélé peu enthousiasmant.

Certains ont pris l’initiative d’utiliser un nouvel outil (Notion) plus complexe mais offrant plus de possibilités. Je n’avais jamais utilisé ce service web auparavant. Ce sont les apprenants qui m’ont formés et se sont formés les uns, les autres. Je n’ai donc passé une heure et demie à faire un cours avec une prez et des slides. J’ai passé une heure et demie à écouter, à compléter et à questionner ce qui était dit.

Il s’agit de mettre les conseillers numériques en action. En pédagogie on désigne cette méthodologie par l’adjectif « active », apprendre par le faire, par la pratique. Je suis heureux de la pratiquer. Elle demande (un peu) moins de préparation avant la séance mais plus d’activités et d’attention lors des séances. Le risque est de s’endormir, de s’embourber dans un atelier trop long ou de presser les apprenants sur une deadline et leur faire rater l’essentiel. J’ai eu peur qu’elle ne convienne pas à tout le monde. Il m’a fallu un peu de temps pour ajuster ces variables. Il faut écouter les apprenants et prendre en compte leurs retours, surtout quand ils sont mauvais.

Les moments les plus inspirants sont les lancements d’ateliers quand nous décidons ensemble ce que nous allons apprendre pendant les prochains jours. Chaque apprenant vient avec ses besoins, ses demandes et ses envies. Il s’agit apprendre dans la configuration d’un atelier avec une communauté apprenante.

Dans un prochain article, j’aborderais des aspects plus critiques de la formation CNFS. Il sera temps de tirer un bilan. 😉

Bonus track :

➡ 📚 J’ai commencé à constituer une modeste curation sur l’andragogie (formation pour adultes), à découvrir en cliquant ici.

➡ 🤖 Une photo d’un M-BOT. Parce que c’est mignon et que ça ne mange pas de pain.

mbot, robot pédagogique pour apprendre à programmer
MBot, ils sont mignons ces robots pédagogiques pour apprendre à programmer. Crédits photos : les apprenants CNFS

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